Construction-carbone

Bâtiments thermiquement performants – nouveaux enjeux

Bâtiments thermiquement performants – nouveaux enjeux

juin 19th, 2013 // 10:39 @

Pourquoi les performances calculées ne résistent pas aux utilisateurs ?

Je viens de lire avec beaucoup d’intérêt la synthèse d’une étude «Les conditions sociales et organisationnelles d’une performance énergétique in vivo dans les bâtiments neufs ». Ce document réalisé par Gaëtan Brisepierre et initié par l’Architecte Thierry Roche, pour le compte de Leroy Merlin Source, analyse les surconsommations énergétiques des bâtiments BBC pionniers sous le regard sociologique et tente de répondre à la question : « pourquoi les performances calculées ne résistent pas aux utilisateurs ? »

Trois bâtiments réalisés par l’Atelier Roche et livrés en 2008 et 2009, ont fait l’objet de l’étude. Ces bâtiments, pionniers du BBC, ne respectent pas les objectifs de performance énergétique pour lesquels ils avaient été prévus (sur les 5 usages : Chauffage, Climatisation, Eau Chaude Sanitaire, Ventilation, Éclairage).

L’étude pointe la corrélation entre le niveau de performance et les points suivants :

  • Le contrôle du chantier (réalisation selon les règles, le cahier des charges des labels, les DTU et CCTP). Le contrôle effectif des performances en réception de travaux (porte soufflante).
  • La multiplicité des donneurs d’ordres pour un même chantier « brouille » la performance : le cuisiniste, le promoteur, le BET énergie, l’architecte, sont autant de concepteurs, ayant chacun un regard différent sur la performance. La conception globale s’en trouve l’aisée.
  • L’adaptation des occupants aux consignes, leurs modes de vie et habitudes sont autant de freins (température de consigne, habitudes vestimentaires, appareillages d’appoint…)
  • Il convient également d’expliquer « le mode d’emploi » et les consignes de fonctionnement du bâtiment, afin que les occupants n’inventent pas leur façon d’habiter. Il est impératif de former des référents ou pilotes (gestionnaires ou occupants) qui seront chargés de donner conseils techniques et rappels. Les dispositifs techniques ne suffisent pas, si l’occupant n’a pas les connaissances des effets et de l’intérêt d’une démarche, il risque de se désintéresser ou pire d’être réfractaire et de contourner le dispositif mis en place.
  • Le risque en cas d’inconfort (paroi froide par exemple) et de susciter chez l’occupant une mesure de contournement (convecteur d’appoint). Dans ce cas précis, la mise en place d’un convecteur d’appoint échappe à l’analyse, la consommation du radiateur étant alors comptabilisé dans les USE (Usages Spécifiques de l’Electricité) et non plus dans les 5 usages mesurés.
  • Il faut également garder en mémoire que le choix de la performance énergétique (BBC, BEPOS…) n’est pas un critère prioritaire dans le choix d’un logement, comparé à l’emplacement, la desserte en transports en commun ou même, dans une mesure moindre, les atouts des divers régimes fiscaux.

Du vrai-faux passif

Aujourd’hui ou la RT2012 est la règle, les bâtiments sont calculés pour être très performants. Même si la performance doit souvent être relativisée, le photovoltaïque produit par le bâtiment pouvant venir  en déduction des consommations (vrai-faux BEPOS) :

Bâtiment passif performant

quand les conso sont compensées par du photovoltaique
Ce bâtiment n’est réellement passif que sur le périmètre de son fonctionnement. Ne sont pas comptées les externalités de la compensation photovoltaïque (le réseau, les systèmes de backup pour les nuits sans soleil…) et énergie grise de la construction.


D’une manière générale, les techniques actuelles de constructions permettent de construire des bâtiments thermiquement très performants (besoins en chauffage très limités, production par pompes à chaleur, enveloppe étanche, ventilation double flux performantes, eau chaude solaire thermique…), bref les 50 kWh/m2.an sont une cible largement accessible. Les objectifs « carbone » sur les consommations d’énergie sont en passe d’être atteints. Sous réserve de l’acceptation des consignes par les occupants. La problématique tend à se focaliser maintenant sujets secondaires : éclairage à LED, suppression des veilles… pour diminuer toujours plus les consommations… mais est-ce toujours le bon axe de réflexion ?

De nouvelles priorités pour la contrainte énergie-climat dans le bâtiment

Si l’on élargie le périmètre de l’étude, deux autres critères sont bien plus énergivores et carbonés et ne focalisent pas autant d’attention. Peut-être, tout simplement parce que la performance énergétique d’un bâtiment et synonyme de factures plus légères pour l’exploitant, alors que cela n’est pas aussi clairement identifiable sur les points que nous allons voir ci-après (ou du moins dans l’ordre des valeurs du Maître d’Ouvrage, ces problématiques n’ont pas la même place) :

* Les déplacements domicile travail des résidents:

Ce sujet majeur en termes de dépendance et précarité énergétique. La problématique est immense et complexe. Le risque de voir apparaitre des ghettos en cas d’augmentation importante des prix des hydrocarbures, est bien réel (ce processus est déjà en cours).

J’y reviendrai dans le prochain article (…à suivre)

* L’énergie grise des constructions : sujet principal de ce blog.

Les consommations des bâtiments construits selon les normes actuelles ne sont plus un enjeu important sur la problématique « carbone ». Ces consommations demeurent un (le) point principal concernant les coûts de gestion, mais les émissions de CO2e/m2*an deviennent si faibles que l’enjeu carbone n’est plus là (un peu, aussi, grâce à une électricité française peu carbonée à 0.078 kCO2e/kWh).

Globalement sur un bâtiment « nouvelle génération », consommant moins de 50 kWh(ep)/m2 par an, émet, s’il ne fonctionne qu’à l’électricité (PAC…), qu’environ 1.5 kgCO2e/m2 par an . Si l’on compare cette valeur à celle correspondant au carbone « gris », contenu dans les matériaux et leur mise en œuvre, même sur la durée de vie du bâtiment, la construction restera la principale source d’émission de GES.

Considérons un bâtiment BBC « classique, 50 kWhep/m² par an», avec des émissions de construction de 436 kg CO2e/m2 (valeur logement structure béton : Base Carbone, valeur plutôt faible selon mes retours d’expérience). Sur une exploitation de 40 ans de ce bâtiment, le constat est sans appel : si l’objectif est une réduction globale des émissions de GES et des consommations énergétiques, les enjeux ne sont plus sur l’exploitation (sauf du point de vue de l’exploitant qui lui paye des factures d’énergie, mais on n’est plus dans une réduction globale).

L’énergie et le carbone sont mobilisés dans la construction.


Il faut optimiser les constructions

Pour un ouvrage, avec structure et planchers béton « classique », le ratio de béton armé par m2 est d’environ 0.40 m3/m2 SHON. Si techniquement, on arrive à diviser par deux ce volume, soit un gain de 0.20m3/m2, en optimisant l’utilisation du matériau (section des poteaux), en remplaçant le béton par un matériau moins carboné (bois, cloisons SAD), en réduisant les ouvrages « architecturaux » lourds (casquettes, béquets corniches béton), le gain peut atteindre une dizaine de pourcents sur les émissions et l’énergie nécessaire à la construction.


Conclusion : « laissez tomber les LEDs et contraignez les équipes travaux sur les m3 de béton et kg d’acier »

J’ai dirigé des chantiers dans une vie précédente de conducteur de travaux, il y a quelques années, mais je suppose que les choses n’ont pas profondément changé. Il n’est pas rare que le chef de chantier fasse ses prévisions de livraison de béton « à la louche ». Il évalue rapidement les volumes à couler le lendemain, et passe commande à la centrale de BPE d’un volume de béton arrondi à la toupie supérieure.

Exemple : pour un besoin de 13m3, parfois rapidement estimé, le chef de chantier commande 2 toupies complètes soit 15m3. Le prix du béton étant lié au prix effectif du m3 et au coût forfaitaire du transport qui peut représenter 15 à 18% sur une toupie complète de 7.5m3, il serait dommage de faire venir une toupie avec 2m3 de moins. Du coup, les 2 m3 « en plus » seront utilisés pour faire des clavetages, quelques préfa chantier annexes…et parfois…quelques litres au mieux, ou m3 au pire, finiront par combler un trou, serviront à réaliser des cheminements, à améliorer l’état de surface d’une aire de stockage de banches…Bref du béton sera utilisé (ou gaspillé) pour des usages qui ne le méritent pas. Ces quelques m3 en plus représentent, tout de même, 240 kg de CO2e par unité (soit l’équivalent d’une vieille ampoule de 75w allumée pendant 40 000 heures!). Vous pouvez placarder des affiches « éteignez les lumières en sortant des vestiaires »…l’enjeu n’est pas là.

Encore une foi, du seul point de vue de la contrainte carbone : « réchauffement climatique » et « facture énergétique globale», il est plus cohérent de travailler aujourd’hui sur l’énergie grise des constructions, que sur une optimisation et une recherche de performance supplémentaire sur les consommations. Comment ? Contraindre les entreprises sur ces enjeux si vous êtes donneur d’ordre, Maître d’Ouvrage ou Maître d’œuvre, sensibiliser (et contraindre) vos équipes travaux si vous êtes constructeur, proposer la prise en compte de ces problématiques dans vos calculs de structure si vous êtes BET…Les pistes sont nombreuses (et souvent économiques)

Vous souhaitez évaluer votre sensibilité à la contrainte carbone, mettre en place des indicateurs, ou travailler ces enjeux sur un projet : contactez-nous…


Category : BEPOS BBC bâtiment performant &Bilan carbone &Bilan carbone chantier &Energie &Materiaux btp &Réchauffement climatique

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