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Les majors du ciment et les « fuites de carbone ».

Les majors du ciment et les « fuites de carbone ».

novembre 23rd, 2012 // 10:51 @

La contrainte carbone et le réchauffement climatique se font timides dans les journaux (ils devraient refaire une apparition cette fin d’année avec la COP18, et des États généraux de la modernisation du droit de l’environnement au printemps 2013). Si l’on gratte un peu, force est de constater que le sujet infuse tout de même la sphère économique. Un bon exemple en est la récente publication des bonnes pratiques en matière de lutte contre le réchauffement climatique des entreprises membres de l’association (ou think tank) EpE. Je m’interroge tout de même sur les motivations de ces grands groupes, ont-ils conscience de l’inévitable impact de la contrainte carbone pour leur activité ? est-ce pour valider leurs implications environnementales auprès des agences de notation (BMJ rating et consort)? de l’opinion publique ? Il est probable que cette problématique est portée par des dirigeants « avertis » tandis que d’autres considèrent que « l’environnement ça commence à bien faire ».

Une entreprise peut difficilement choisir de renverser la table : choisir d’anticiper une contrainte, de payer le prix tout de suite pour éviter ou atténuer un risque majeur, certains, mais dont on ne sait ni comment il va se matérialiser, ni à quelle échéance. Même si l’enjeu n’est ni plus ni moins que la survie de l’entreprise, sortir du « business as usual » s’avère un exercice délicat et périlleux pour les managers.

Les majors du ciment dans un étau.

Prenons le cas de Lafarge et des ciments Calcia, qui dans le cadre de leur participation à cette association militent pour la mise en place d’un prix du carbone, mais font également du lobbying pour que le marché du ciment reste dans la liste des activités soumises à un risque de fuite de carbone, et conservent du coup l’attribution de quotas gratuits. Cela semble contradictoire, ces majors sont pris dans un étau : la concurrence d’indépendants broyant du clinker produit hors EU sans contrainte carbone et la nécessité de répondre aux objectifs européens de réduction des GES. Il est incontestable que les secteurs R&D de ces grands groupes travaillent sur les émissions et la dépendance énergétique de leur activité. Les résultats sont d’ailleurs probants : réduction de l’énergie nécessaire aux fours de cuisson du clinker, combustibles alternatifs moins carbonés, substitution du clinker par des liants alternatifs…

La double peine pour les majors du ciment.

cimenterie Lafarge à l'arret 29/11/2012

Les centres de broyages de ciment (ou plus exactement du clinker provenant de pays hors CEE) continuent à secouer le secteur français de l’industrie du ciment. J’avais déjà évoqué le sujet de ces ciments low cost en 2010 : Des fuites de carbone dans l’industrie du ciment! Deux projets de broyage de clinker (importé) sont en passe de voir le jour sur le port du Havre. On peut s’interroger sur la pertinence de ces projets sur un marché Français plus que mature pour ne pas dire en récession (la consommation de ciment est fonction du secteur de la construction, lui même bien malade).

Lafarge crie au dumping social et environnemental (et n’a pas tort), de par la provenance du clinker importé (Égypte, Inde Chine et surtout Turquie). La production Turque s’envole, en effet, la Turquie vient de passer 4ème producteur mondial avec plus de 60Mt, derrière la Chine, l’Inde et les États Unis. Le lobbying des cimentiers nationaux (et Européens) sur le sujet de distorsion de concurrence en matière d’émissions de gaz à effet de serre a porté ses fruits : les cimenteries soumises au système communautaire d’échange de quotas (SCEQ) conservent l’attribution de quotas gratuit.

Les majors institutionnels du ciment (Lafarge, Holcim, Cemex, Heidelbergcement, Italcementi) ont des soucis à se faire de la par la nature même de leur activité :

  • une croissance atone dans les pays de l’OCDE ou les infrastructures sont matures et les financements exsangues (la problématique est la même pour les haut fourneaux d’Arcelor Mital)
  • un impact problématique sur les émissions de GES. La nature de leur activité est dépendante de l’énergie fossile et le processus de production est fortement émetteur de GES. Les « fuites de carbone » ne constituent qu’une partie de la problématique plus générale et majeure du poids carbone de cette activité. La mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’union permettrait de donner un prix au carbone et donc de favoriser la R&D pour des produits alternatifs plus sobres. Le développement des bétons au laitier considérés peu émissifs est une solution bancale. Le laitier, sous-produit de la sidérurgie (déchet de haut fourneau) considéré « carbon free » car l’ensemble des émissions qui ont permis sa fabrication sont affectées à l’acier produit. Une analyse de cycle de vie du laitier devrait mettre en évidence la dépendance aux hauts fourneaux et aux combustibles nécessaires à leur fonctionnement (et au coke nécessaire à la réduction du minerai de fer). Le recours au laitier est donc une bonne solution tant que ce produit est considéré comme un déchet dont on ne sait que faire dans l’industrie de l’acier. La problématique sera différente, le jour où sa disponibilité se trouvera contrainte (moins de production par les hauts fourneaux et filière de distribution du produit saturée) ou que les émissions nécessaires à sa fabrication lui seront allouées.

Une solution ?

La problématique pour les cimentiers est que la contrainte s’applique sur la production de ciment et non sur le produit. Si demain, les taxes ne s’appliquent pas sur les émissions des usines de production mais sur l’utilisation du produit en fonction de son poids carbone, le ciment Turc sera plus impacté (nécessitant plus d’émissions de GES) que les ciments Européens. Reste que l’équation pour mettre en place un tel système est loin d’être simple.

Si tout ce qui ne tue pas rend plus fort, dans quelques temps, les cimentiers Européens seront (peut-être) très forts.

15/02/2013 : Manifestation d’environ 200 personnes devant le siège du Grand port maritime du Havre contre deux projets d’importation de ciment (Clinker) qui menaceraient l’emploi dans la cimenterie locale exploitée par Lafarge.


Category : Energie &Materiaux btp

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