Construction-carbone

La prise en compte des émissions de GES dans les marchés publics.

La prise en compte des émissions de GES dans les marchés publics.

novembre 8th, 2011 // 9:28 @

Tout d’abord, pour fixer les enjeux, rappelons que l’Union Européenne s’est engagée à réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, ceci à l’horizon 2020 (demain). La France s’est engagée, de manière complémentaire, à diviser par quatre ses émissions de GES d’ici à 2050 (le facteur 4). Le programme est ambitieux, la récente RT2012[1] est une réponse pour le secteur du bâtiment. Cette réponse est malheureusement partielle, comme j’essaie de le démontrer sur ce blog, l’énergie grise de la construction compense une grande partie des efforts réalisés sur la consommation. En première approximation, on peut estimer les émissions d’un chantier de construction de gros œuvre à environ à 730g éq. CO2e /€ de CA pour les émissions de GES et 500 g éq. CO2e/€ pour la dépendance aux fossiles. et de 360 à 500g CO2e/€ pour des travaux de manière globale (ensembles des lots).[2]

En dehors de ces engagements nationaux, et pour revenir au fond du problème, la sobriété carbone du point de vue du réchauffement climatique comme de la raréfaction de l’accès à l’énergie bon marché, est un enjeu majeur à court ou moyen terme. Les acteurs publics ont tout intérêt à anticiper les contraintes à venir (en cours), leur rôle de prescripteur permettrait d’orienter du même coup les axes de développement des entreprises (et donc la prise en compte de cette problématique).

Le moteur : c’est la contrainte.

L’un des moyens (le principal) de faire bouger les choses c’est d’avoir recours à une contrainte maîtrisée et contrôlée. Par exemple, si l’administration publique décide que le nombre de morts sur les routes est un problème majeur, et s’engage à prendre le taureau par les cornes, le meilleur moyen d’obtenir des résultats et de mettre en place des contraintes (limitation de vitesse, alcootest,  contrôles routiers, normes pour les véhicules…) Sous réserve de l’acceptation sociale, la méthode est efficace, prise de conscience, peur de la prune, et normalement, le secteur privé (les entreprises) s’adapte à la contrainte et  y répond de manière à tirer son épingle du jeu : commercialisation de voitures ne permettant pas de dépasser de manière significative les vitesses autorisées… systèmes coyote…mince !… j’ai pris un contre-exemple!! Bref, en général, notre vie n’est gérée que par des contraintes qui nous poussent à agir dans une direction. Votre corps a besoin de nourriture, votre estomac vous fait passer le message (contrainte), afin que vous remédiiez à la situation. Il en est de même partout et dans tous les domaines.

La commande publique comme vecteur.

Les marchés publics représentent environ 15% du PIB à l’échelle Européenne. Pour la France, c’est 222 122 marchés publics qui ont été notifiés, pour un montant total de 58 milliards d’euros soit 40 % du volume annuel de la commande publique (attention la commande publique est supérieure aux marchés publics) en France estimé à 140 milliards d’euros par l’Observatoire Économique de l’Achat Public. C’est environ 7% du PIB. (Données 2009). Si l’on extrait les données relatives au secteur qui nous intéresse : les travaux représentent 27% des marchés publics (0.8% du PIB, mais tout de même 22 Mds €). Selon la FFB, pour la construction dans son ensemble, le secteur public représente 20% du montant des travaux, 80% pour le secteur privé. Celui-ci étant forcément très diffus, les marchés publics peuvent (doivent !) imprimer le rythme et faire entrer la « contrainte » carbone dans les marchés de travaux. Les entreprises soumissionnent s’adapteront aux exigences du secteur public et la greffe pourra prendre pour les marchés privés.

Une contrainte intelligente

Le code des marchés publics (2006) autorise la prise en compte de critères environnementaux : «art.14 : Les conditions d’exécution d’un marché ou d’un accord-cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental qui prennent en compte les objectifs de développement durable… ». Ceci dans le respect des principes généraux des marchés publics. Le critère de sélection des offres doit être :

  • lié à l’objet du marché. (La proximité géographique d’une entreprise, dans le but de réduire les émissions de C02, ne peut être en tant que tel intégré comme critère de sélection des offres : un tel critère, présente un caractère discriminatoire au détriment des entreprises les plus éloignées. Question écrite n° 10874 de M. Gérard Bailly, réponse publiée dans le  JO Sénat du 21/01/2010). La proximité géographique, comme les valeurs de l’entreprise soumissionnaire ne sont pas liées à l’objet du marché (les performances générales de l’entreprise relèvent de la sélection des candidats)
  • il doit y avoir égalité de traitement entre les candidats (pas d’effet discriminatoire),
  • l’objectif étant toujours d’obtenir le meilleur rapport qualité/prix.

Solutions possibles afin de mettre en place un critère carbone cohérent dans un appel d’offres:

1 : Les candidats sont invités à quantifier les émissions de GES relatives à leur offre (liaison au marché).

Pour les marchés classiques (AO ouvert ou restreint), outre le fait que peu d’entreprises sont à même de réaliser un  bilan carbone®, cette solution semble peu envisageable pour plusieurs raisons. Elle repose sur de l’auto-déclaration, d’où une analyse des offres au cas par cas pour vérifier de la pertinence des facteurs d’émission, du périmètre retenu…l’analyse des offres semble impossible. De plus, il conviendrait de vérifier à postériori la cohérence entre la déclaration dans l’offre de prix et la réalisation effective. Mais surtout, les candidats ne peuvent apporter, qu’à la marge, des améliorations en termes d’émissions de GES, le projet étant figé. (type de béton et provenance des matériaux éventuellement)

Pour les procédures plus particulières (dialogue compétitif, BEH, BEA, concours, conception-réalisation, ou PPP), les candidats « bâtissent » le projet pour répondre à un cahier des charges (gros projets). La pertinence de juger les offres sur un « bilan carbone » du chantier semble plus appropriée, les candidats maîtrisant les matériaux, quantités et moyen de mise en œuvre. Pour les PPP ou bail emphytéotique,  le Bilan Carbone peut également être calculé sur le cycle de vie de l’ouvrage. Cela nécessite également un travail conséquent dans l’analyse des offres, mais sur ce type de projet les délais le permettent généralement.

2 : les ECO-COMPARATEURS et les variantes environnementales.

Les marchés d’enrobés ont pris une longueur d’avance sur le sujet, ils sont depuis quelque temps ouvert aux variantes écologiques. L’évolution récente des enrobés (plus verts, plus écolos (température), plus recyclables, moins bruyants…) en est-elle la cause, ou la conséquence ? Le fait est que les résultats sont là. Inciter les entreprises peut amener des résultats. Pour nuancer, il semble probable que se secteur disposait d’une marge de manœuvre sur la problématique des émissions de GES et de la consommation d’énergie des enrobés et chaussées. Le secteur des routes travaille sur la mise en place d’éco-comparateurs (ECORCE pour le LCPC, Variways (pour le tracé géométrique) Masster (pour les terrassements) et ImpRoad (pour les structures de chaussées) pour EGIS , SEVE pour l’URSIF, on peut également citer l’utilitaire de calcul LGV (V1) d’Objectif Carbone  . Ces outils permettront aux Maîtres d’œuvres et Maître d’ouvrages, d’apprécier les performances « carbone » en amont de leur projet et dans les études de faisabilité,  mais également, de proposer des appels d’offres comportant des critères environnementaux et une analyse optimale des candidats.

L’autorisation de variante peut être une bonne solution pour inciter les candidats à travailler sur la réduction de les GES. Un critère pourrait consister à évaluer les variantes en fonction de la tonne de CO2 évité par rapport à la solution de base.  

critère carbone

Actuellement les 200 000 acheteurs publics sont malheureusement frileux, par crainte du recours et de la remise en cause juridique de leur marché. Ils se focalisent encore beaucoup, par habitude, sur le moins disant, le critère prix ayant un caractère objectif rassurant. Les critères environnementaux n’apparaissent que timidement. La prise en compte des émissions de GES est actuellement difficile sans l’appui d’une AMO compétente. Pour les marchés de type bail emphytéotique et partenariat public-privé, où l’entreprise conçoit le projet,  il serait intéressant de mettre en place une contrainte carbone dans les cahiers des charges et d’accorder une réelle importance à ce sujet.

Les opérateurs publics ont un rôle majeur pour orienter l’aménagement du territoire afin d’amortir la future augmentation des prix de l’énergie. Exiger le meilleur rapport qualité/prix, sur la durée de vie de l’ouvrage (et non pas à cours terme), devrait imposer une analyse de la pertinence d’un projet sous le prisme de la contrainte carbone. Il manque encore aujourd’hui, une volonté forte du législateur pour décarboner la société…On y viendra surement.


[1] Applicable à partir du 28 octobre 2011 pour les bâtiments publics d’enseignement et d’accueil de la petite enfance, les bâtiments tertiaires et les bâtiments en zone ANRU et à partir du 1er janvier 2013 pour les autres bâtiments d’habitation neufs. Pour l’ensemble des bâtiments restants, et de la réhabilitation des bâtiments existants…à suivre

documents à consulter :

http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Projet_Consultation_et_Chantier.pdf

http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/oeap/publications/lettre/2011/lettre-OEAP-N-special.pdf

http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/uploads/tinyMCE/les-consultations-publiques-du-ministere-du-developpement-durable/efficacite-energetique/pouvoirs-publics_complet.pdf

[2] Données personnelles.


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