Construction-carbone

Combien de CO2 pour un plan de rénovation énergétique de 500 000 logements par an ?

Combien de CO2 pour un plan de rénovation énergétique de 500 000 logements par an ?

septembre 2nd, 2014 // 11:43 @

Le président l’avait annoncé en mars 2013, notre Ministre de l’environnement et du développement durable le confirme aujourd’hui : il faut rénover énergétiquement les logements ! Oui, mais pourquoi ?

Rappel des objectifs : ce plan présente un objectif ambitieux : rénover 500 000 logements par an d’ici à 2017, et diminuer de 38 % la consommation d’énergie dans le secteur du bâtiment à horizon 2020 afin de répondre à 3 enjeux :

  • Un enjeu écologique : réduire les consommations d’énergie pour lutter contre dérèglement climatique (rappel : « La lutte contre le changement climatique est placée au premier rang des priorités… » loi Grenelle I, article 2);
  • Un enjeu social : lutter contre la précarité énergétique et réduire les charges qui pèsent sur les ménages (rappel : est en situation de précarité énergétique, une personne qui « éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat » soit environ 3.4 millions de ménages en France);
  • Un enjeu économique : soutenir le développement de la filière rénovation énergétique, et plus généralement l’activité dans le bâtiment, secteur créateur d’emplois non délocalisables.

La Ministre de l’environnement, Ségolène Royal, à clairement défini le plan d’action dans son discours lors de la conférence des Ambassadeurs du 28 août 2014 :

« Le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, que je défendrai très prochainement au Parlement, fixe à notre pays des objectifs ambitieux et met en place des moyens opérationnels pour accélérer le mouvement et amplifier l’action…La loi fixe les objectifs suivants :

  1. les économies d’énergie, car l’efficacité énergétique dans tous les secteurs, des bâtiments à l’économie circulaire en passant par les transports propres, est la clef d’une diminution des consommations qui réduit nos émissions
  2. le bâtiment avec, en priorité, le grand chantier de la rénovation énergétique des logements (500.000/an d’ici 2017), source d’emplois non délocalisables dans un secteur fragilisé (75.000 emplois) et de  pouvoir d’achat pour les ménages car un logement bien isolé, ce sont des factures qui baissent. Avec aussi, entre autres, la construction de bâtiments à énergie positive (qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment). »

REGARDONS CE SUJET DE MANIÈRE GLOBALE EN CE QUI CONCERNE LES ÉMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE :

Comme à mon habitude, je vais essayer de prendre en compte le sujet de manière globale et de mettre en parallèle les objectifs d’économies de CO2e(1) et  l’impact des travaux.

Quels sont les gains qui peuvent être attendus si l’on rénove énergétiquement 500 000 logements par an ?

Regardons d’abord du côté de ce que l’on peut appeler « l’OPEX », c’est à dire l’exploitation des logements. Pour essayer de quantifier les émissions de GES(2) « évitées » grâce aux travaux de rénovation, nous retiendrons un jeu de 3 hypothèses :

  • L’hypothèse A « calée » sur le bilan du programme Habiter Mieux de l’Anah(3). Ciblage sur les passoires thermiques : 2/3 des logements en étiquette G ou F et un gain énergétique moyen de 38% (gain > 25% exigé pour accéder à l’aide). Le gain, sur la base de -38% d’une étiquette CO2 de classe G, est de 22 kg CO2e/m².an.
  • L’hypothèse B (réduction importante) : gain de 3 niveaux d’étiquette CO2 (gain : 60 kg CO2e/m².an)
  • L’hypothèse C (réduction faible) : la rénovation impactes beaucoup de bâtiments qui basculent d’un chauffage par convecteurs ÉLECTRIQUES peu performants, mais peu « carbonés », à une chaudière gaz. En termes de CO2e les gains sont alors très réduits (nous estimons le gain : 10 kg CO2e/m².an)
  • La surface moyenne retenue pour ces calculs est de 90 m² (4).

OPEX  - TRAVAUX 500 000 LGTS

Figure 1 : gains de CO2e du programme de rénovation de 500 000 lgts (par an)

Quels sont les impacts des travaux, en termes de GES ?

Attardons nous maintenant sur le « CAPEX », c’est à dire l’investissement préalable (investissement en travaux et en émissions de GES). Rénover énergétiquement, c’est effectuer des travaux donc émettre des GES (gaz à effet de serre). Pour fabriquer l’ensemble des matériaux (les isolants, menuiseries, les équipements techniques…) les industriels ont dû bruler des hydrocarbures et donc émettre (beaucoup) de GES. Pour mettre tous ces matériaux en place (le matériel, les engins de chantier, le traitement des déchets) les professionnels du bâtiment ont également dû bruler des hydrocarbures et donc émettre (beaucoup) de GES.

Nous proposons d’évaluer l’impact de la rénovation énergétique de 500 000 logements par an. Cet exercice a pour simple objectif  d’évaluer des ordres de grandeur en jeu.

Nous allons tout d’abord estimer le coût (financier) des travaux. Pour estimer le coût de ce programme de rénovation thermique et énergétique nous prendrons les 3 hypothèses suivantes :

  • L’hypothèse 1 : Selon les chiffres annoncés par l’Anah (programme Habiter Mieux), le cout moyen d’une rénovation thermique est d’environ 18 250€ (l’Anah cible en priorité les « passoires thermiques »). Nous pouvons estimer (à la grosse louche) que la rénovation de 500 000 logements va coûter environ 9 milliards d’euros.

Chiffres et bilan programme Habiter Mieux

Figure 2 : Bilan programme Habiter-Mieux – Anah 2012


  • L’hypothèse 2 : selon l’Observatoire Permanent de l’amélioration ENergétique du logement (OPEN), en 2011 les coûts d’une rénovation énergétique avoisinent 5 300€. Le programme de rénovation énergétique de 500 000 logements couterait alors autour de 2.5 milliards d’euros.

Dépenses de rénovation énergétique - OPEN 2011

Figure 3 : source OPEN


  • L’hypothèse 3 : pour cette hypothèse, nous retenons un prix moyen de rénovation thermique de 240 €/m² (source : O.SIDLER ENERTECH 200€ en 2007, actualisé 3% par an), avec une surface moyenne de logement de 90 m² (4). Pour cette hypothèse, le programme de rénovation énergétique de 500 000 logements couterait alors autour de 11 milliards d’euros.



Nous déduisons l’impact « carbone » des montants de ces 3 hypothèses, grâce aux index BT nationaux (qui déterminent statistiquement le pourcentage de main d’œuvre, d’énergie utilisée, de matériaux nécessaires…, par euro et par type de travaux, voir ici). Dans cette approche nous retiendrons les travaux suivants (et leur impact carbone):

source A2DM construction carbone

La quantification des émissions de GES d’un programme de rénovation énergétique de 500 000 logements peut être grossièrement estimée :

OPEX - impact carbone lié aux travaux

Figure 4 : impact « carbone » du plan de rénovation énergétique de 500 000 logements


Conclusion :

D’un point de vue global, les émissions de gaz à effet de serre liées aux travaux sont du même ordre de grandeur que les gains qui peuvent être espérés sur l’exploitation pendant 1 an.

émissions vs exploitation - rénovation énergétique 500 000 lgts

Figure 5 : bilan global CONSTRUCTION vs EXPLOITATION DES LOGEMENTS RÉNOVES ÉNERGÉTIQUEMENT

Cet exercice n’a pas la prétention de se vouloir prospectif, les résultats mettent simplement en évidence que l’impact des travaux est loin d’être négligeable.

Dans le cas le plus défavorable, ou l’on réaliserait des travaux lourds pour des résultats peu importants en termes d’émissions de GES (Hypothèse 3 vs hypothèse C), le « retour sur investissement », c’est à dire les première économies réelle par rapport à une situation « business as usual » serait d’environ 8 ans !

Ces résultats sont bien évidemment fonction de plusieurs paramètres :

  • Les performances obtenues : Les gains apportés par la rénovation énergétique sont un paramètre important  (par exemple : le remplacement des convecteurs électriques n’apporte pas un intérêt important). Il faudra sensibiliser les équipes de Maîtrise d’œuvre au fait que le cahier des charges de la rénovation énergétique a également un objectif de lutte contre le dérèglement climatique : basculer des consommations sur du gaz peut avoir du sens au niveau économique (actuel), mais ce n’est pas un optimum du point de vue du réchauffement climatique. Sur des bâtiments neufs : les bâtiments modernes de type BEPOS, BBC, RT2012…, l’impact du gaz n’est pas très sensible vu les faibles volumes de consommation, mais pour une rénovation il en est tout autre. Il sera très difficile d’atteindre des performances importantes sur les consommations sans toucher de manière très importante au bâti. Les retours d’expérience de l’Anah permettent d’espérer des gains relativement modestes (les bâtiments ne passent pas en étiquette A ou B après rénovation énergétique, au mieux ils gagnent « 3 étiquettes »), mieux vaudra donc privilégier les PAC et les équipements de chauffage et de production d’eau chaude « hors hydrocarbures » :

Evaluation des gain de performance énergétique avant et après rénovation (programme Habiter Mieux)

Figure 6 :Évaluation des gain de performance énergétique avant et après rénovation (programme Habiter Mieux)


  • Le poids « carbone » des travaux : Ce petit calcul en ordre de grandeur, montre également que l’efficacité d’un plan de rénovation énergétique de 500 000 logements par an passera également par la prise en compte de l’impact que généreront les travaux. (exemple : Vaut-il mieux réaliser un réseau d’eau chaude en PER ou en cuivre? ). Ce point est très important, car la marge de manœuvre y est beaucoup plus importante que sur l’aspect thermique et énergétique des logements existants (les contraintes sur le bâti, sur la conception et la structure existante, sur la présence d’occupants et les possibilités d’agir sont lourdes et ne permettent pas des marges de manœuvre importantes pour la réalisation de travaux). Il serait très opportun d’éco-conditionner les aides en fonction des efforts faits sur le poids « carbone » des travaux. Par exemple:
    1. calculer l’impact carbone des divers équipements de chauffage, des divers systèmes d’isolation, etc. et moduler les aides en fonction du poids carbone des diverses solutions (imposer l’étiquetage carbone, les FDES…). Ce point serait un aiguillon très puissant pour impliquer les industriels et les fabricants de matériaux et d’équipements (l’aspect local et fabriqué avec une électricité à faible intensité carbone, permettrait de redonner des parts de marché aux producteurs nationaux),
    2. imposer un calcul de type « impact carbone simplifié » avant toute rénovation énergétique (nous avons des solutions). Sans imposer la réalisation d’une étude de type Bilan Carbone®, le seul fait d’imposer un calcul des émissions de GES, poussera les professionnels du bâtiment à rechercher des produits plus performants (pour mettre en avant leur offre) et par effet boule de neige, les industriels seront intéressés à distribuer des solutions bas carbone. Voir l’article « le Bilan Carbone® comme critères de sélection  des offres dans la commande publique« .

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Sources :

(1)    CO2e : pourquoi CO2e et non pas CO2 (voir ici)

(1)    GES : Gaz à effet de serre  http://www.bilans-ges.ademe.fr/cadre-general

(2)    ANAH : Agence Nationale de l’Habitat : http://www.anah.fr/accueil/

http://www.anah.fr/fileadmin/anahmedias/communiques_de_presse/Etat-Avancement-Habiter-Mieux-092012.pdf

(4)      La surface moyenne d’un logement retenue dans cet exercice est de 90 m². Les bâtiment à rénover étant « anciens », la valeur de surface moyenne d’un logement devrait être inférieure, nous n’en n’avons pas tenu compte dans cette approche.

surface des logements - stats INSEE

Figure 7 : source INSEE

Category : Bilan carbone chantier &Materiaux btp &Réchauffement climatique

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