Construction-carbone

Le Bilan Carbone – critère de sélection dans la commande publique

Le Bilan Carbone – critère de sélection dans la commande publique

mars 27th, 2013 // 11:14 @

Cet article fait suite à une réflexion précédente sur la prise en compte des émissions de GES dans la commande publique.


Le PIB est fonction de la quantité d’énergie consommée. Les statistiques actuelles semblent indiquer que le volume d’énergie disponible a atteint un maximum dans les pays de l’OCDE et que, par conséquence, la croissance du PIB s’en trouve contrainte. Il est plus qu’urgent de prendre au sérieux la problématique du réchauffement climatique et de sa phase amont, la consommation d’hydrocarbures. Une solution, obliger les acteurs économiques à « ouvrir les yeux », et utiliser la commande publique comme vecteur afin de faire émerger une réflexion sur le coût énergético-climatique de chaque euro dépensé.

Comment contraindre les acteurs économiques à prendre en compte les problématiques climato-énergétiques.

  1. Pour les gros « pollueurs », la première réponse prise par les politiques est la mise en place du système ETS : depuis le 1er janvier 2005, 12 000 grands établissements industriels européens (fournisseurs d’électricité, producteurs d’acier, verreries, cimenteries…) sont autorisés à acheter et à vendre des « droits à émettre des gaz à effet de serre » dans l’atmosphère. Ce système, reposant sur la Directive ETS (Emissions Trading Scheme), permet aux entreprises dépassant leurs plafonds d’émissions de gaz à effet de serre d’acheter des quotas auprès d’entreprises plus performantes. Des quotas trop importants (alloués pendant un période faste, de forte croissance) et la crise de 2008, ont rendu le système inopérant. Les prix sont descendus à 3 – 4€ la tonne de CO2, alors que les experts jugent que le prix doit se maintenir au-dessus de 20 à 30 euros par tonne pour que le marché soit efficace, c’est-à-dire qu’il rende compétitives les technologies bas carbone par rapport aux technologies plus émettrices de gaz à effet de serre. Les entreprises ont trop de quotas, l’aiguillon financier n’est pas suffisant pour que le problème soit traité comme un sujet majeur – une entreprise ne s’intéresse qu’à son compte en banque, si elle fait du sociétal, de l’environnemental, et même de la philanthropie, ce n’est jamais de manière totalement désintéressée : c’est pour répondre à toutes sortes de parties prenantes,  des agences de notations, une image publique…
  2. Le prix de l’énergie. Jouer sur la TIPP, le prix du KWh électrique ou gaz serait une solution très efficace. Les résistances sur ces enjeux sont telles, qu’il faudrait une volonté sans faille et beaucoup de pédagogie pour retourner l’opinion publique, les pouvoirs politiques et la sphère médiatique – bon courage…
  3. La taxe carbone. C’est également une manière de donner un prix au CO2 et donc de contraindre les entreprises à évaluer, quantifier, puis prendre des mesures pour réduire leurs émissions, et par la même réduire leur dépendance aux hydrocarbures en parallèle du montant de leur taxe. Retoquée par le conseil constitutionnel fin 2009, car mal explicitée, bouc émissaire de manœuvres politiciennes, cette taxe ou contribution climat-énergie est aujourd’hui mise de côté. Bon courage également pour la remettre en piste en période de crise.
  4. Contraindre par la règlementation. Une première étape est en place avec l’article 75 de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010, qui donne obligation pour les entreprises de plus de 500 salariés (250 salariés dans les DOM TOM), les établissements publics de plus de 250 personnes, les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants, et l’Etat, d’évaluer leurs émissions de GES. La philosophie du Bilan Carbone ne transparait pas vraiment dans cette mesure car, ne sont mesurés que les émissions liées à la consommation directe d’énergie et à la production d’électricité, soit moins de 50% des émissions réellement nécessaires à l’activité des entreprises, ce qui au final n’amène pas grand-chose. Que font les entreprises du résultat de leur audit BGES…rien, si ce n’est qu’elles ont répondus à la contrainte règlementaire. En élargissant le périmètre de mesure (scope 3) à l’ensemble des flux nécessaires à l’entreprise, les résultats deviennent bien plus intéressants et permettent de mettre en évidence des niveaux de consommations à des endroits non soupçonnés et d’engager des actions cohérentes. Une seconde étape pourrait être la mesure des coûts de traitement du problème, évaluer les actions à entreprendre en fonction de leur coût à la tonne de CO2 évitée. (Eiffage à mis en place un dispositif de cet ordre, avec le fond d’arbitrage carbone, sur le chantier de construction de la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de Loire)
  5. Autre solution : Contraindre (encore) par la mise en place de critères « carbone » dans les appels d’offre publics.

Je reviens plus en détail sur ce dernier point.

Des critères « carbone » pour la sélection des entreprises répondant à des appels d’offres publics (ou privés).

Récemment le Conseil d’État a « retoqué » les résultats d’un appel d’offre de la ville de Colombes. Celle-ci avait pris l’initiative de mettre en place un sous-critère « Bilan Carbone » pour la sélection des entreprises concourant à l’appel d’offre de collecte des déchets ménagers. La société Derichebourg polyurbaine, attributaire c’est vu contesté cette attribution par l’entreprise concurrente Europe service déchets, qui a finalement eu raison au terme de l’épisode judiciaire. Le Conseil d’État a jugé que « le pouvoir adjudicateur avait exigé la production d’un bilan carbone sans en préciser le contenu ni en définir les modalités d’appréciation …  le pouvoir adjudicateur avait manqué, à ce titre, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».

Comment faut-il comprendre cette décision ?

  • le défaut d’information: le règlement de consultation ne précisait correctement pas, à priori, la notation et l’évaluation de ce critère de sélection. Le pouvoir adjudicateur se devait de définir, à minima, les quelques points suivants :
    1. L’entreprise prétendant avoir recours au volume d’émissions de GES le plus faible, est normalement la mieux notée. Comment attribut on ensuite les notes ? La philosophie du bilan carbone n’étant pas de donner des résultats, mais des ordres de grandeurs cohérents, avec des marges d’erreur contrôlées. Le classement des offres s’en trouve d’autant plus compliqué. Bref, ce point doit être correctement expliqué.
    2. Quel engagement prend l’entreprise soumissionnaire vis-à-vis des résultats de son bilan carbone « a priori« . L’analyse en détail du Bilan Carbone nécessite une Maîtrise d’œuvre aguerrie ou l’assistance d’une AMO. Comment s’assurer que le candidat qui vous a vendu 100, ne va pas réellement émettre 200. Comment s’assurer sur les engagements des contractants, quelles pénalités ou mesures coercitives peuvent être mises en place en cas de non-respect ?
  • la précision sur le contenu du Bilan Carbone : Ce point est essentiel.
    1. Si l’on mentionne la marque « Bilan Carbone © », il faut en théorie respecter la philosophie, si ce n’est le cadre de la méthode : Les gaz pris en compte, les postes exclus, l’agrégation des diverses émissions…
    2. La définition du périmètre retenu pour les émissions doit être claire et ne pas prêter à confusion. Ou arrête-t-on de compter ? La durée d’exploitation à prendre en compte, éventuellement.
    3. Les facteurs d’émission : Afin de disposer de réponses comparables pour l’analyse des offres, il semble essentiel de fournir des facteurs d’émissions dans le DCE (plusieurs bases de données sont disponibles : Base Carbone, Ecoinvent…) Sont-ils disponibles pour l’activité concernée ?
  • Les principes fondamentaux de la commande publique doivent être absolument respectés :
    1. Pourquoi ce critère ? qu’est-ce qui pousse le donneur d’ordre à mettre en place ce critère ?
    2. Le critère carbone doit avoir un lien avec l’objet du marché : il doit permettre d’évaluer le produit, le service ou les travaux, mais en aucun cas il ne doit permettre d’évaluer l’entreprise soumissionnaire. On ne mesure pas les émissions de l’entreprise, mais celles qui sont nécessaires à la réalisation du marché.
    3. L’égalité de traitement des candidats. La proximité géographique d’une entreprise ne peut être un critère de sélection des offres. Les émissions de CO2 relatives aux déplacements, transports sont donc à prendre avec la plus grande attention. Les transports relatifs à l’objet du marché peuvent faire l’objet d’évaluation, mais on ne peut écarter une entreprise éloignée par rapport à une entreprise locale, même si l’impact des transports de celle-ci est plus conséquent.
    4. La liberté d’accès à la commande publique. Le niveau de compétence des concurrents devra leur permettre de répondre au critère carbone. La production d’un Bilan Carbone, n’est pas forcément chose aisée. Pour pallier à cette problématique, le pouvoir adjudicateur à tout intérêt à fournir un cadre de réponse et à « mâcher le travail » des entreprises, au niveau de la forme.
    5. Transparence. Nous en revenons au point vu plus haut. La notation, la pondération des résultats, la manière dont vont être jugées les offres doit être claire et compréhensive. Le candidat doit être informé clairement sur ce que l’on attend de lui, de la valeur que l’on accorde à cette partie de sa proposition, et de la manière dont il va être jugé.

Conclusion : Le donneur d’ordre public à tout intérêt de s’adjoindre les services d’une AMO compétente sur le sujet. Il est prudent de formaliser l’ensemble des documents attendus pour la réponse à un critère Bilan Carbone et de mettre à disposition dans le DCE : une notice d’utilisation des documents, un bordereau de saisie des données, un cadre de réponse et d’une manière générale de cadrer les réponses afin de permettre l’analyse dans le respect du code de marchés publics. Pour les sujets complexes, typiquement une opération de construction, la multitude des flux semble un frein à la mise en œuvre d’un critère de sélection du type Bilan Carbone « général ». Il sera préférable dans ces cas-là, de mettre un critère carbone sur quelques points préalablement ciblés.  Ce qui signifie que pour être cohérent il faudra préalablement avoir réalisé un Bilan Carbone en phase APD ou PRO, permettant de mettre en lumière les flux, matériaux ou procédés, les plus émissifs et sur lesquels on souhaite rechercher la meilleure offre. Les meilleurs résultats pour des marchés de construction (en terme de réduction des GES) sont obtenus en permettant  aux entreprises de choisir les modes opératoires et systèmes constructifs, de leur donner une obligation de résultat et non pas de moyens (Ouvrir le marché aux variantes). Telle entreprise proposera tel système de fondation qui nécessitera tel niveau d’émission de GES, telle autre aura une solution différente. Ce qui nécessitera pour l’analyse des offres de regarder les solutions selon une matrice : €/solution technique/tonnes de CO2, et tout ça devra être clairement expliqué.

C’est compliqué mais…“Le plus grand danger qui nous guette n’est pas de nous assigner un objectif trop ambitieux et de le manquer… mais de nous assigner un objectif trop facilement atteignable…et de l’atteindre” Michelange

Le gouvernement travaille actuellement sur une réforme de la commande publique. Voir ci-dessous.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000027069259&fastReqId=1649034511&fastPos=1

http://www.actu-marches-publics.com/blog/2013/03/08/un-acheteur-ne-peut-exiger-un-bilan-carbonne-sans-precisions.html#


Category : AMO &Bilan carbone &Bilan carbone chantier

Les commentaires sont clos.